Quand la survie prend le dessus

Pourquoi tes crises ne sont pas un échec

6/11/20254 min temps de lecture

a pink and white water lily in a pond
a pink and white water lily in a pond

Avant tout, je veux répondre à une question que je me suis posée moi-même pendant des années de crises de boulimie et de compensations :
Suis‑je cassé(e) ?

La réponse est non. Tu n’es pas cassé(e). Bien au contraire.
Ton corps fonctionne exactement comme il doit. Laisse-moi t’expliquer.

Voyons un instant dans le passé, aux débuts de l’humanité. Quand il fallait chasser pour se nourrir, quand nous dépendions entièrement de nos instincts pour survivre.
Imagine : chasser, cueillir ou cultiver à cette époque devait être un travail extrêmement difficile. Penses‑tu que nos ancêtres auraient pris la peine de chercher de la nourriture si la sensation de faim n’était pas aussi inconfortable que celle d’une crise de boulimie ? Bien sûr que non. Cet inconfort était un outil de survie.

Maintenant, imagine que pendant plusieurs jours, ils ne trouvaient pas de nourriture. Le corps, désespéré, activait son plan d’urgence : l’instinct de la fringale.
Ce signal puissant que tu connais si bien, celui qui ne te laisse penser à rien d’autre qu’à manger, n’est pas un défaut. C’est la manière dont ton corps s’assure que tu survives.
Ton esprit peut être fort, ta volonté immense, mais aucune pensée rationnelle ne peut surpasser un instinct biologique conçu pour te maintenir en vie. Voilà pourquoi, même en sachant que cela te fera mal, tu manges jusqu’à ce que respirer devienne difficile. Pas par faiblesse, mais par survie.

Voyons cela avec un autre exemple plus simple : la respiration.
Fais l’expérience : essaye de retenir ta respiration pendant trois minutes.
(Oui, c’est long, mais au moins imagine-le.)

Que ressens‑tu ?
Peut-être que les 10‑15 premières secondes tu te sens bien.
À 30 secondes, ton esprit commence à se concentrer sur une seule chose : respirer.
Au bout d’une minute, ton corps hurle : « Respire ! », de plus en plus intensément, jusqu’à ce que tu cèdes.

Et quand tu inspires enfin, comment est cette respiration ?
Douce, tranquille ? Non. C’est une inspiration profonde, forte, presque désespérée, comme si chaque cellule poussait un cri de soulagement.
C’est, littéralement, une crise d’air.

Maintenant réfléchis :
Si tu ne t’étais pas privé(e) d’air au départ, aurais‑tu ressenti ce besoin aussi intense de respirer ainsi ?
Probablement pas.

Alors, qu’est-ce qui provoque tes crises alimentaires ?
Exactement : la privation.

Peut-être était-ce un régime. Peut-être as‑tu décidé de « bien te tenir » et d’éviter certains aliments. Peut-être as‑tu sauté des repas ou ignoré la faim parce que « tu ne devrais pas l’avoir ».
Il y a mille manières de commencer à se priver, et en réalité, peu importe laquelle était la tienne. L’important est de comprendre que cela nous donne un indice sur comment commencer à guérir.

Tu pourrais penser : « Oui, mais beaucoup de gens font un régime et ça ne leur arrive pas. »
Tu as raison. La plupart, après quelques jours de faim, abandonnent et reprennent une alimentation normale. Ou, après leur première crise, ils sont tellement effrayés qu’ils renoncent.

Toi, non.
Toi, tu as continué.
Parce que tu as une force de volonté énorme.

Tu as supporté la faim une semaine, puis une autre. Tu as survécu aux crises et, au lieu de te rendre, tu t’es dit : « Ce n’était qu’un contretemps. Demain, je ferai mieux. Cette fois, je réussirai à suivre le régime. »
Et ainsi, petit à petit, le cycle s’est répété. Jours, semaines, mois… peut‑être années.
Ta relation avec la crise a changé, évolué, jusqu’à parfois devenir une véritable dépendance (nous en parlerons plus tard).

Mais tout cela ne signifie pas que tu es cassé(e).
Cela signifie que tu es incroyablement fort(e).
Sauf que, sans le savoir, tu utilisais cette force pour lutter contre tes propres instincts.

La bonne nouvelle : tu n’as plus besoin de lutter.
Tu n’as pas besoin de te battre contre ton corps pour te libérer de la boulimie.

Et même si ce n’est probablement pas ce que tu veux entendre, la réalité est simple :
Pour arrêter de te gaver, il faut d’abord manger.

Manger suffisamment. Manger sans peur. Manger sans punition.

Parce que la récupération ne commence pas par le contrôle, mais par la confiance : en ton corps, en sa sagesse, et en la certitude que tu n’as jamais été cassé(e).

Maintenant, tu pourrais penser :
« Mais je ne fais pas de régime. Je mange normalement. Mes crises dépendent de mes émotions. Ce n’est pas la nourriture. »

Je comprends parfaitement pourquoi tu penses cela.
Si tu cherches sur internet « qu’est-ce que la boulimie », la plupart des résultats disent que c’est une maladie mentale grave, associée à la dépression, à l’anxiété ou aux traumatismes émotionnels.
Je me souviens avoir fait ces mêmes recherches et m’être sentie de plus en plus perdue.
Si avant je me sentais sans espoir, après avoir lu tout ça, je me sentais complètement perdue, comme si quelque chose en moi était irrémédiablement cassé.

Il est vrai que les émotions influencent. Tout le monde ressent tristesse, frustration ou stress. Mais tout le monde ne se jette pas sur la nourriture lorsqu’il se sent mal.
Alors, que se passe-t-il ?
Peut-être que tu vis avec la boulimie depuis si longtemps qu’elle est devenue ton mécanisme automatique pour ne pas ressentir, pour éviter les émotions négatives autant que positives.

C’est pourquoi, avant de travailler la partie émotionnelle, il faut commencer par le plus basique : reconnecter avec l’instinct de survie.
Il faut d’abord aider le corps à se sentir en sécurité, nourri et hors du mode d’urgence.
Ce n’est qu’alors que resteront les crises « émotionnelles », celles d’habitude, à résoudre.